Tears and Laughter: Filmmakers in Early Russian Cinema Press

< Programme > SÉANCE NO 2: The Professionalization of Filmmaking

Des larmes aux rires. Les cinéastes dans la presse des débuts du cinéma russe

Cet article s’appuie sur un corpus de textes provenant des premiers périodiques cinématographiques russes (tels que Sine-Fono, Proektor, etc.) qui relatent la vie quotidienne des studios de cinéma (ou fabriques de vues animées, comme on les appelait à l’époque). Ces textes ont été largement diffusés dans les années 1910, mais sont devenus relativement méconnus par la suite. Toujours satiriques, ils dépeignent les cinéastes comme ridicules et amateurs. Dans « Irochka’s Career » (Kino-teatr, 1918), il y a un réalisateur qui cherche une chanson d’amour tsigane assez captivante pour être adaptée en film, mais après avoir bu pendant trois jours et dépensé au restaurant l’entièreté de ses à-valoir, il invente une histoire insensée pour convaincre le producteur. Dans « A Film Manufacturer’s Morning » (Kine-zhurnal, 1915), un producteur est si avare qu’il refuse d’acheter une poussette jouet mentionnée dans un scénario : « C’est parti ! Maintenant je suis censé considérer ce stupide scénario. C’est tout ce qu’il nous fallait ! Un abruti fainéant écrit des bêtises, et nous devons dépenser de l’argent ! » Dans « Following the Inglorious Way » (Kine-zhurnal, 1915), on apprend que le scénariste est en fait un étudiant pauvre qui doit écrire un scénario d’Anna Karénine en un seul jour sans même pouvoir consulter le livre.

Ces feuilletons, ainsi que d’autres articles satiriques, étaient censés ridiculiser certains des problèmes typiques des fabriques de vues animées. La majorité ont été écrits en connaissance de cause, car en règle générale les journalistes de cinéma travaillaient au sein de ces fabriques ou avaient des liens étroits avec des gens impliqués dans l’industrie cinématographique. Ils ont probablement compris le problème principal expliquant le manque de professionnalisme au sein de l’industrie cinématographique : non seulement les cinématographistes des années 1910 étaient par défaut des amateurs, mais ils essayaient toujours de faire le travail d’un autre, et par conséquent négligeaient le leur. Les acteurs interféraient désobligeamment dans le maquillage, les réalisateurs et les producteurs réécrivaient les scénarios, les propriétaires de cinéma se prenaient pour des monteurs de films quand ils changeaient les intertitres et réorganisaient des séquences entières.

Individuellement, les textes des années 1910 font la satire de divers phénomènes du quotidien des fabrique de vues animées, mais une fois réunis ils démontrent que le principal problème de l’industrie cinématographique de l’époque était l’absence de ce que nous appelons aujourd’hui la « division du travail ».


Anna Kovalova (European University of St. Peterburg)

Anna Kovalova est chercheuse associée à l’Université européenne de Saint-Pétersbourg (Russie). Elle est diplômée de la Faculté de Philologie de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg en 2007 et a obtenu son doctorat en philologie en 2012. Elle est l’auteure de Kinematograf v Peterburge 1896-1917 (avec Yuri Tsivian, 2011), Kinematograf v Peterburge 1907-1917 : Kinoproizvodstvo i fil’mografia (2012) et est l’éditeur d’un recueil de scénarios du dramaturge russe Nikolai Erdman (2010). De 2015 à 2019, elle a enseigné l’histoire du cinéma et la littérature à l’École supérieure d’économie (Moscou). En tant que responsable de l’équipe de recherche du projet « Prose des débuts du cinéma russe », assistée d’étudiants aux cycles supérieurs, elle a créé la base de données électronique la plus complète sur les textes des premiers films narratifs russes.