< Programme < SÉANCE NO 3: Cameras, Projectors, and Trick Photography
Les effets d’écran divisé dans le cinéma des premiers temps
L’écran divisé ou composite (split screen) constitue l’une des techniques de trucage les plus répandues dans le cinéma des premiers temps. Ce procédé était utilisé, entre autres, pour représenter des différences de taille extrêmes, montrer des membres sectionnés, masquer des « arrière-plans de trucage » noirs, ou afin de juxtaposer des décors de studio avec des paysages extérieurs. Bien entendu, la combinaison de photographies provenant de sources multiples, en plaçant des masques devant l’objectif ou à l’intérieur du portail, précède le cinéma de plusieurs décennies. En s’appuyant sur les pratiques de la photographie, cet article examine les techniques et l’esthétique des premiers écrans divisés et composites. Comme je le montrerai, l’héritage de la photographie est essentiel pour expliquer l’hétérogénéité des approches techniques des images composites. Par exemple, alors que Robert W. Paul créait les siennes par un tirage en deux temps, Georges Méliès utilisait la double exposition. Sur le plan esthétique, on peut distinguer deux applications distinctes de l’écran divisé et composite. D’une part, dans les scènes mettant en scène des personnages doubles et des miniaturisations, la technique simule la coprésence physique dans un espace diégétique cohérent. D’autre part, la technique est aussi fréquemment apparue dans des contextes qui ont énoncé sa nature de « patchwork ». Jan Olsson a montré qu’entre 1906 et 1916, les effets d’écran divisé étaient couramment utilisés pour représenter les conversations téléphoniques. Cependant, les utilisations de l’image divisée et composite allaient bien au-delà de cette application spécifique. Servant souvent à représenter des processus mentaux ou verbaux, tels que des souvenirs, des récits racontés ou des visions, les effets d’image composite ont exploité des techniques adaptées de l’illustration graphique contemporaine pour enrichir l’expressivité de l’image filmique. Ils illustrent une approche des débuts de la narration cinématographique qui n’a pas reçu suffisamment d’attention jusqu’à présent. Privilégiant la simultanéité à la continuité, les effets d’image composite rendent possible la représentation simultanée du subjectif et de l’objectif, de l’action et de la réaction, des parties et de l’ensemble. En incitant le spectateur à déduire un sens des juxtapositions à l’intérieur du plan unique, ils rompent l’illusion de l’image cinématographique en tant que vue de la réalité, lui permettant de transcender les limites expressives de la photographie « ordinaire ».
Katharina Loew (University of Massachusetts Boston)
Katharina Loew est professeure adjointe d’Allemand et d’Études cinématographiques à l’Université du Massachusetts à Boston. Ses écrits sur le cinéma muet et les technologies cinématographiques ont été publiés dans New German Critique, Film Criticism et plusieurs ouvrages collectifs. Elle prépare un livre sur les effets spéciaux dans le cinéma muet allemand qui paraîtra sous peu aux Amsterdam University Press.